L'Avent en Terre Sainte, au-delà des murs du conflit

L'Avent en Terre Sainte, au-delà des murs du conflit

Entretien avec le Custode de Terre Sainte, Frère Francesco Patton

A la veille de l'Avent, le Custode de Terre Sainte, le Frère Francesco Patton, réfléchit à ce "temps fort" de l'Église dans le contexte du conflit actuel en Terre Sainte. "Toute l'histoire va à la rencontre du Seigneur, dit-il, Lui qui donne un sens à l'histoire elle-même, la rachète et la transforme d'une histoire de misère humaine en une histoire de salut". 

Nous vous proposons les principaux passages de cet entretien avec le Frère Francesco Patton.

***

Quelle est la signification de l'Avent en ce moment historique si particulier pour la Terre Sainte ?

L'Avent nous fait regarder vers l'avenir. Ainsi, nous dirigeons notre regard non seulement vers la naissance de Jésus, il y a 2000 ans - à laquelle la liturgie ne consacre que la dernière semaine – mais aussi et surtout sur le fait que nous attendons son retour. Pendant l'Avent, nous réfléchissons au fait qu'être à l’intérieur de l'Histoire signifie vivre au milieu de guerres, de persécutions, de pandémies, de crises économiques, et dans ces situations être des personnes qui ne se replient pas sur elles-mêmes mais qui au contraire sont capables de relever la tête face à l’adversité, comme nous le demande Jésus :  " Quand ces événements commenceront, redressez-vous et relevez la tête, car votre rédemption approche " (Lc 21, 28). Malgré toutes les difficultés, en tant que chrétiens, nous devons garder la tête haute, tournée vers Jésus-Christ.

En Terre Sainte la tradition veut que le Custode de Terre Sainte fasse son entrée solennelle à Bethléem à la veille du premier dimanche de l'Avent. Qu'en sera-t-il cette année ?

Vue de l’extérieure, l’entrée sera moins solennelle. Nous arriverons dans une ville privée de pèlerins, où les chrétiens ne ressentent pas l'atmosphère festive, et où par choix de sobriété et de solidarité avec ceux qui souffrent de la guerre, il n'y aura pas d'illuminations, pas de sapins de Noël éclairés... Toutefois, nous ferons le geste très important d'aller de Jérusalem à Bethléem en franchissant un mur. Je considère que c'est là le geste le plus important. Cela signifie continuer à dire que même un mur peut être franchi. Dans un contexte comme celui que nous vivons, ce geste prend une signification encore plus grande.

Quel Noël vivront les chrétiens de Bethléem ?

Les conséquences de la guerre sont évidentes : pas de pèlerins et donc pas de travail. Le Noël des familles de Bethléem est donc loin d'être un Noël joyeux. Nous devons redécouvrir les raisons les plus profondes, les plus authentiques, de la fête de Noël. La joie de Noël nous vient du fait que le Fils de Dieu s'est humilié : ce n'est pas la joie des triomphes, mais la joie de comprendre la grandeur d'un amour qui s'humilie. Saint François, dans ses écrits, se référant au mystère de l'Incarnation et de l'Eucharistie, dit : "Regardez, mes frères, l'humilité de Dieu". Nous devons regarder l'humilité de Dieu.

Cette année, nous célébrons le 800ème anniversaire du Noël de Greccio, auquel est liée une indulgence spéciale accordée par le Siège Apostolique. Quelle est sa signification ?

La Nativité de Greccio est une célébration très spéciale, à travers laquelle François nous aide à comprendre la valeur de l'Eucharistie, d'une part, et la valeur de l'Incarnation, d'autre part, en établissant un lien entre les deux. Ce que François célèbre à Greccio, c'est l'Eucharistie, dans un contexte qui reproduit la scène de Bethléem. Pourquoi la Nativité représentée à Greccio est-elle si importante ? Parce que François - qui avait été pèlerin en Terre Sainte entre 1219 et 1220 - avait probablement eu l'occasion de voir la Grotte de Bethléem et avait eu cette intuition : le Fils de Dieu qui s'est incarné à Bethléem en naissant de Marie est le même qui se fait petit et s'offre à nous chaque jour à travers l'Eucharistie et nourrit ainsi notre vie.

Cette année les Franciscains commémorent également les 800 ans de l'approbation de la Règle par le pape Honorius III. Le pape François a envoyé une lettre à toute la famille franciscaine pour souligner l'importance de cet anniversaire. Quelle est sa pertinence aujourd'hui ?

Notre Règle résume, en 12 chapitres seulement, l'expérience évangélique de saint François d'Assise. Pour François, la Règle c’est l'Évangile, et l'Évangile est ce qui façonne la vie du chrétien (et la vie du frère mineur). L'essence de la Règle est que l'Évangile donne forme à notre vie et si nous considérons l'Évangile comme un appel et un style de vie, le résultat final est la sainteté.

Quelle était l'attitude de François face aux conflits de son temps et que nous suggère-t-il face aux conflits de notre époque ?

Tout d'abord, François n'entre pas dans le conflit comme un combattant armé. Ses propos ne sont pas violents, son attitude n’est pas violente, et il refuse même explicitement de porter des armes. Il va à la rencontre de l'autre, reconnaissant que l'autre n'est pas un ennemi mais une personne, un frère qui a la même origine et la même dignité que lui devant Dieu. Je voudrais également souligner combien il est important, lorsqu’on analyse les conflits, de prêter attention à la souffrance concrète des personnes, de ne pas devenir des "fans", comme s'il s'agissait de deux équipes en compétition pour une coupe. La guerre est toujours une tragédie avec beaucoup de morts et beaucoup de souffrances. Face à cette situation, nous sommes appelés à adopter une attitude "d'équi-proximité", comme l'appelle le pape François, une attitude de profonde "empathie : percevoir la souffrance des uns et des autres, de chaque personne, et aider les uns à ressentir la souffrance des autres et vice versa. Ce n'est qu'ainsi qu'il est possible de passer d'une souffrance qui engendre la soif de vengeance, le ressentiment et la haine à une souffrance qui peut engendrer la compassion, la miséricorde et même des chemins de réconciliation.

Beaucoup de chrétiens envisagent d’émigrer...

Pour rester en Terre Sainte, les œuvres d'assistance ne sont pas une motivation suffisante. Ce que les chrétiens de Terre Sainte doivent comprendre pour rester, c'est qu'être chrétien de Terre Sainte n'est pas une malédiction mais une vocation et une mission. De ce point de vue, je ne suis pas trop préoccupé par les chiffres. Jésus a commencé avec 12 apôtres, Il a commencé avec quelque chose de très modeste, parce que c'est la logique du Royaume de Dieu. Les passages de l'Évangile qui s’adressent au petit troupeau sont des passages où l'on nous dit d'abord "n'ayez pas peur", parce que la valeur d'une présence ne dépend pas du nombre.

Quel est l'appel de la Terre Sainte aux chrétiens du monde entier ?

L'appel lancé aux chrétiens du monde entier est de se souvenir des chrétiens de Terre Saintenon pas de la Terre Sainte au sens abstrait du terme, mais de se souvenir qu'ils ont ici des frères et des sœurs qui sont actuellement en difficulté. C’est un appel à exprimer la communion par la prière, à s'intéresser à ce qui se passe sans prendre parti, à faire preuve d'une solidarité concrète. Pour notre part, nous continuerons à nous occuper des chrétiens de Terre Sainte de manière concrète, comme nous l'avons fait au cours des siècles, par le biais des écoles, du travail et de l'intervention économique dans les situations de besoin.

Marinella Bandini