Omelia Notte di Natale 2023

Homélie de la Messe de Minuit – Noël 2023

Chers Frères et Sœurs,

                                    Que le Seigneur vous donne la Paix !               

Je voudrais ce soir exprimer un sentiment profond que nous ressentons tous, je crois, et qui trouve un écho dans l'Évangile qui vient d'être proclamé : "parce qu'il n'y avait pas de place pour eux" (Lc 2, 7). Comme pour Marie et Joseph, il semble que pour nous, aujourd'hui, il n'y ait pas de place pour Noël. Nous sommes tous saisis, depuis trop de jours, par le sentiment douloureux et triste qu'il n'y a pas de place, cette année, pour la joie et la paix qu'en cette nuit sainte, à quelques mètres d'ici, les anges ont annoncées aux bergers de Bethléem.

En ce moment, nous ne pouvons que penser à tous ceux qui, dans cette guerre, ont été laissés sans rien, déplacés, seuls, touchés dans leurs affections les plus chères, paralysés par leur chagrin. Mes pensées vont à tous, sans distinction, Palestiniens et Israéliens, à tous ceux qui sont touchés par cette guerre, à tous ceux qui sont en deuil, qui pleurent et qui attendent un signe de proximité et de chaleur. Ce soir, je me souviens des otages enlevés à leurs familles. Je me souviens de ceux qui croupissent dans les prisons sans procès. Mes pensées vont en particulier à Gaza et à ses deux millions d'habitants. En vérité, "il n'y avait pas de place pour eux" exprime bien leur situation, désormais connue de tous et dont la souffrance ne cesse d'être criée au monde entier. Ils n'ont plus d'endroit sûr, de maison, de toit, ils sont privés de tout ce qui est essentiel à la vie, ils meurent de faim et plus encore, ils sont exposés à une violence incompréhensible. Il semble qu'il n'y ait pas de place pour eux, non seulement physiquement, mais aussi dans l'esprit de ceux qui décident du sort des peuples.

C'est la situation dans laquelle vit depuis trop longtemps le peuple palestinien qui, bien que vivant sur sa propre terre, se voit constamment dire : "il n'y a pas de place pour vous", et qui attend depuis des décennies que la communauté internationale trouve des solutions pour mettre fin à l'occupation, sous laquelle il est contraint de vivre, et à ses conséquences. Il me semble qu'aujourd'hui, tout le monde est enfermé dans son chagrin. La haine, le ressentiment et l'esprit de vengeance occupent tout l'espace du cœur et ne laissent pas de place à la présence de l'autre. Pourtant, l'autre nous est nécessaire. Car Noël, c'est justement cela, c'est Dieu qui se rend humainement présent et qui ouvre nos cœurs à un nouveau regard sur le monde.

Non pas que le monde ait toujours été accueillant pour le Christ : la constatation du fait qu'il n'y ait plus guère de traces de la foi chrétienne, et du Noël chrétien en particulier, dans notre culture sécularisée et consumériste, ne date pas d'aujourd'hui. Cette année, cependant, surtout ici, mais aussi dans le reste du monde, le fracas des armes, les pleurs des enfants, la souffrance des réfugiés, les lamentations des pauvres, les larmes de tant de personnes en deuil dans tant de familles semblent rendre nos chants désaccordés, notre joie difficile, nos paroles vides et rhétoriques.

Soyons clairs : la venue du Christ dans notre monde a ouvert pour nous et pour tous "la voie du salut éternel", que rien ni personne ne pourra jamais refermer. La foi, l'espérance et l'amour de l'Église de Dieu sont indéfectibles et reposent sur la fidèle Promesse du Seigneur, et ne dépendent pas des temps et des circonstances changeantes, plus ou moins défavorables, qui nous entourent.

Il est tout aussi évident, cependant, que nous luttons, surtout ici aujourd'hui, pour trouver une place pour Noël dans notre pays, dans nos vies, dans nos cœurs. Ce chemin, ouvert par le Christ, nous risquons de le perdre dans les rues détruites, dans les décombres de la guerre, dans les maisons abandonnées. Nos cœurs accablés risquent de ne pas se mettre à l'écoute de l'annonce de Noël. Trop de douleur, trop de déception, trop de promesses non tenues encombrent cet espace intérieur où l'Évangile de Noël pourrait résonner et inspirer des actions et des comportements de paix et de vie.

Demandons-nous donc : où est Noël cette année ? Où devrions-nous chercher le Sauveur ? Où l'Enfant peut-il naître, alors qu'il ne semble pas y avoir de place pour lui dans ce monde qui est le nôtre ?

C'est la question que se sont posée Marie et Joseph, confrontés à la difficulté de trouver un logement cette nuit-là, comme nous l'avons entendu. C'était la question des bergers, qui cherchaient l'Enfant. C'est la question des mages, à la poursuite de l’étoile.
C'est la question que l'Eglise s'est posée chaque fois qu'elle s'est égarée. C'est notre question ce soir : quelle est la place de Noël aujourd'hui ?

Les anges nous répondent. Cette nuit-là, en effet, et dans toutes les nuits, Dieu trouve toujours une place pour son Noël, même pour nous ; ici, aujourd'hui, malgré tout, même dans ces circonstances dramatiques, nous le croyons : Dieu peut faire de la place même dans les cœurs les plus durs.

Le lieu de Noël, c'est d'abord et avant tout Dieu. Le Noël du Christ se déroule au départ dans le cœur miséricordieux du Père. Son amour infini et inépuisable engendre éternellement le Fils et nous le donne dans le temps, même en ce temps. C'est dans sa bonne et sainte volonté que le salut de l'homme a été décidé. "Car Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais ait la vie éternelle. Dieu n'a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui" (Jn 3,16-17). Dans les circonstances actuelles, nous, toute l'Église, devons revenir à Dieu, à son amour, si nous voulons redécouvrir la vraie joie de Noël, si nous voulons rencontrer le Sauveur.

Avant et au-delà de toutes les explications sociales et politiques, la violence et l'écrasement de l'autre trouvent leur racine ultime dans le fait d'avoir oublié Dieu, d'avoir contrefait son visage, d'avoir utilisé la relation religieuse avec lui de manière instrumentale et fausse, comme cela se produit trop souvent dans cette Terre Sainte qui est la nôtre. Celui qui ne sait pas appeler son prochain "frère" ne peut pas appeler Dieu "Père". Mais il est encore plus vrai que nous ne pouvons pas nous reconnaître frères si nous ne revenons pas au vrai Dieu, si nous ne le reconnaissons pas comme un Père qui aime tout le monde. Si nous ne trouvons pas Dieu dans notre vie, nous nous perdrons inévitablement à Noël et nous nous retrouverons à errer seuls dans la nuit, sans destination, en proie à nos instincts violents et égoïstes.

Mais le "oui" de Marie et de Joseph est aussi le lieu de Noël. Leur obéissance et leur fidélité sont la maison dans laquelle le Fils est venu habiter. La volonté de Dieu n'est pas une puissance qui soumet et fait plier, mais un Amour qui ne déploie toute sa force que lorsqu'il est accueilli dans une liberté fidèle et généreuse, la vraie liberté, qui n'est pas l'arbitraire mais la responsabilité aimante de notre vie et de celle des autres. Le Fils de Dieu, engendré par le Père, entre dans le temps par la porte ouverte de la liberté humaine. Là où un homme et une femme disent "oui" à Dieu, c'est Noël ! Là où quelqu'un est prêt à mettre sa vie au service de la Paix qui vient d'en haut, au lieu de chercher son propre intérêt, là le Fils naît et renaît. Alors, si nous voulons que ce soit Noël, même en temps de guerre, nous devons tous multiplier les gestes de fraternité, de paix, d'accueil, de pardon, de réconciliation.

Je dirai même plus : nous devons tous nous engager, à commencer par moi et ceux qui, comme moi, ont des responsabilités de guide et d'orientation sociale, politique et religieuse, pour créer une "mentalité du oui" contre la "stratégie du non". Dire oui au bien, oui à la paix, oui au dialogue, oui à l'autre ne doit pas être une simple rhétorique mais un engagement responsable, une volonté de faire de l'espace et non de l'occuper, de trouver une place pour l'autre et non de la nier. Noël a été rendu possible par l'espace que Marie et Joseph ont offert à Dieu et à l'enfant qui venait de Lui. Il n'y aura pas de justice, pas de paix sans l'espace ouvert par notre "oui" volontaire et généreux.

Ce ne serait pas Noël sans les bergers. Leur réveil dans la nuit appartient aussi à l'Évangile. Et ils sont les premiers à trouver l'Enfant. L'évangéliste Luc ne s'attarde pas tant sur leur condition sociale que sur leur intériorité. Cette nuit-là, les bergers se sont manifestés comme des gens éveillés, habitués à l'essentiel, capables d'agir, ouverts à la nouveauté, sans trop de calculs ni de raisonnements, et donc prêts pour Noël. Dans un temps inévitablement marqué par la résignation, la haine, la colère, la dépression, nous avons besoin de tels chrétiens pour qu'il y ait encore de la place pour Noël !

À mon cher diocèse, à ses prêtres, à ses séminaristes, à ses religieux et religieuses, à ses laïcs engagés, à toutes les communautés paroissiales avec leurs groupes et associations, je crois devoir rappeler que nous sommes les héritiers de ces pasteurs. Je sais bien combien il est difficile de rester éveillés, disponibles pour accueillir et pardonner, prêts à recommencer encore et encore, à repartir même s'il fait encore nuit. Ce n'est qu'ainsi que nous trouverons l'Enfant. Mais c'est seulement ce témoignage qui garantit que Noël a toujours sa place dans ce temps et sur cette terre, et qu'il rayonne à partir d'ici dans le monde entier.  Nous sommes ici et nous entendons continuer à être les bergers de Noël. C'est-à-dire ceux qui, bien que dans des conditions pauvres et fragiles, ont trouvé l'Enfant, ont fait l'expérience de sa grâce et de sa consolation, et veulent proclamer à tous que Noël est, aujourd'hui comme hier, vrai et réel.

Chers amis, j'ai dans le cœur un désir qui devient prière : que notre volonté de faire le bien, concrétisée par notre "oui" responsable et généreux, par notre engagement à aimer et à servir, soit l'espace dans lequel le Christ puisse naître et renaître !                                                               Je le demande pour moi-même et pour mon Église en Terre Sainte et pour toutes les Églises : qu'elles soient pour tous une maison, un espace de réconciliation et de pardon pour tous ceux qui recherchent la joie et la paix ! Je demande à toutes les Églises du monde qui, en ce moment, se tournent vers nous non seulement pour contempler le mystère de Bethléem, mais aussi pour nous soutenir dans cette guerre tragique, de se faire les porteurs auprès de leurs peuples et de leurs dirigeants du "oui" à Dieu, du désir de bien pour ces peuples, de la cessation des hostilités, afin que tous puissent vraiment trouver un foyer et la paix.

Je prie pour que le Christ renaisse dans le cœur des gouvernants et des dirigeants des nations et leur suggère son propre "oui" qui l'a conduit à se faire notre ami, notre frère et l'ami de tous, afin qu'ils travaillent sérieusement à l'arrêt de cette guerre, mais surtout pour qu'ils reprennent le fil d'un dialogue qui conduira enfin à trouver des solutions justes, dignes et définitives pour nos peuples. La tragédie de ce moment, en effet, nous dit que le temps n'est plus aux tactiques à court terme, aux références à un avenir théorique, mais qu'il est temps de prononcer, ici et maintenant, une parole de vérité, claire et définitive, qui résolve le conflit actuel à la racine, en supprime les causes profondes et ouvre de nouveaux horizons de sérénité et de justice pour tous, pour la Terre Sainte mais aussi pour toute notre région, également marquée par ce conflit. Des mots comme occupation et sécurité, et tant d'autres mots similaires qui ont dominé nos discours respectifs pendant trop longtemps, doivent être remplacés par confiance et respect, car c'est ce que nous voulons pour l'avenir de cette terre, et c'est seulement ainsi que nous pourrons garantir la stabilité et la paix véritable.

Que le Christ renaisse donc sur cette terre, la sienne et la nôtre, et que le chemin de l'Évangile de la paix pour le monde entier reprenne à partir d'ici ! Qu'Il renaisse dans le cœur de ceux qui croient en Lui, les poussant au témoignage et à la mission, sans la peur de la nuit et de la mort! Et qu'il renaisse aussi dans le cœur de ceux qui ne croient pas encore, comme un désir de paix et de bonté, de vérité et de justice !
Que le Christ naisse aussi dans notre petite communauté de Gaza. J'avais l'habitude de passer quelques jours avec vous, qui m’êtes si chers, avant Noël. Cette année, cela n'a pas été possible, mais nous ne vous abandonnons pas. Vous êtes dans nos cœurs, et toute la communauté chrétienne de Terre Sainte et du monde est rassemblée autour de vous, puissiez-vous sentir le plus possible la chaleur de notre proximité et de notre affection.

Enfin, que le Christ renaisse dans le cœur de tous, afin que pour tous, ce soit encore Noël ! Joyeux Noël !

    Bethléem, 24 décembre 2023

   + Pierbattista Card. Pizzaballa
      Patriarche latin de Jérusalem