Musée : En attendant les locaux, les collections se préparent | Custodia Terrae Sanctae

Musée : En attendant les locaux, les collections se préparent

Tandis que les travaux du Terrasancta Museum ont commencé dans les lieux destinés à l’accueillir (voir article), frère Sergey Loktionov, archiviste de la Custodie, s’emploie à préparer ceux des documents d’archives qui seront exposés.

Impossible de retracer l’histoire de la présence chrétienne à Jérusalem sans exposer des firmans. Le terme firman provient étymologiquement du persan (farman). Il peut signifier ordre, autorité, volonté, désir, autorisation. Avec le temps, le mot « farman » désigna ensuite l’écrit en tant que tel, le document par lequel était donné un ordre. Initialement, le terme était utilisé pour tout type de document. Ce n’est qu’à une époque tardive qu’il commença à faire partie du langage administratif.

Le fond des Firmans de la Custodie est d’une richesse exceptionnelle tant par son nombre - « 2644 firmans allant datant du 31 juillet 1247 au 5 mai 1902 sont catalogués, d’autres le seront prochainement. Une équipe arrivera cet été pour poursuivre l’inventaire », précise frère Sergey - que par sa qualité de conservation, mais aussi parce que certaines pièces - en plus d’être des documents juridiques toujours en vigueur - sont, dans leur facture même, de véritables œuvres d’art.

C’est une des plus belles pièces de la collection des Franciscains qui sera présentée dans le musée. Elle appartient à la collection « gold », les firmans dorés car enluminés à la feuille d’or. Mais, un tel document ne peut être exposé sans des précautions particulières. A vrai dire, ce n’est pas un mais trois ou quatre firmans qui, à tour de rôle par mesure de conservation, seront exposés.
Et c’est un cadre très spécifique, appelé « teca »en italien, qui désormais renfermera ces pièces.
Il est hermétique, sa structure métallique est anticorrosion, il assure la stabilité hygrométrique malgré les variations extérieures.

Avant de mettre sous verre le firman « 365(i) » - c’est sa référence dans le catalogue - il a fallu le restaurer. «Ce firman traite de certains droits accordés au Franciscains au Saint-Sépulcre. A force de manipulations au long des siècles, il est fragilisé. On a pu constater ici ou là des tâches, voir des déchirures tant sur le papier que sur le tissu sur lequel il est collé. Par ailleurs, le mode de conservation, en rouleau du fait de sa taille (167 cm x 66 cm), et le fait qu’il ait été déployé à de multiples reprises puis roulé de nouveau nécessite une intervention », poursuit frère Sergey. Il faut dire aussi que le document date de 1755. Il a été émis par la Sublime Porte, nom consacré pour désigner le gouvernement du sultan de l' Empire ottoman.

Frère Sergey a donc fait appel à deux restauratrices du laboratoire Consorzio Indaco ( Brescia, Italie) spécialistes l’une de papier, Chiara Lancini, l’autre de tissu, Ilaria Mensi. Du 9 au 21 avril, elles ont séjourné à Jérusalem pour intervenir sur divers documents dont le précieux firman.

Dans une salle du couvent Saint-Sauveur, le firman est posé sur une table, le papier d’un côté, le tissu de l’autre. On se croirait dans une salle d’opération, scalpels, ciseaux, pinces, gants blancs et même un bout d’os sont au rendez-vous. Les blouses blanches de Chiara et Ilaria ajoutent à l’ambiance.

Chiara peaufine son travail sur les contours du papier. Elle a du reconstituer de la matière, car elle était manquante ici ou là. Pour ce faire, elle est arrivée à Jérusalem avec des papiers de différents grammages pour approcher au plus près du papier original. Au final, son travail ne se devine qu’en mettant le document à contre jour. Car même la couleur de la pièce ajoutée a été travaillée pour se fondre à celle du firman.

« Et si le trou était au milieu du texte ? » « S’il devait manquer du texte, explique Chiara, il est évident que nous ne sommes pas en mesure de le restituer. En italien ou latin, cela nous arrive de le faire, mais ici non car ce sont des caractères arabes ». En réalité le texte en question est écrit en osmanli, du turc écrit avec des caractères arabes.

De son côté, Ilaria travaille sur le tissu sur lequel était collé le papier. Etait collé, car Ilaria et Chiara les ont séparé l’un de l’autre. Une opération délicate car si le papier est d’un grammage léger, il a été collé sur une étoffe elle aussi très légère.

Du reste, dans le rapport d’intervention qu’elles ont rendu, les deux restauratrices ont bien expliqué comment la détérioration du firman est due en partie à la façon dont les deux matériaux réagissent différemment au temps et aux conditions auxquelles ils ont été exposés entrainant des tensions de l’un à l’autre.

Ilaria est elle aussi arrivée à Jérusalem avec son matériel et avec des étoffes. « Je les achète à une entreprise française. » La trame de l’étoffe doit être la plus proche possible de la trame du tissu original. Mais c’est Ilaria qui fait ses propres teintures pour arriver à obtenir la bonne teinte. « Les teintures elles aussi doivent répondre à ces critères spécifiques, être naturelles et ne contenir aucun métaux. De sorte qu’elles ne dégraderont ni la fibre ni du voile ni du papier qui y sera collé de nouveau.»

Elle doit intervenir sur les lacunes de l’étoffe mais surtout sur les bords qui ont le plus souffert ou s’effiloche. C’est en présentant un compte-fil et en pointant du doigt telle ou telle partie du tissu qu’elle propose de vérifier son travail. A l’œil nu en effet, il est difficile de trouver les endroits où elle est intervenu. L’étoffe est comme neuve, propre et repassée.

Pour l’une comme pour l’autre des restauratrices, malgré la précision de leur travail, il est rendu plus facile par la qualité des matériaux utilisés dans les siècles derniers. « Les œuvres modernes se détériorent beaucoup plus vite »affirme Chiara.

Habituées tous les deux à voir passer entre leurs mains expertes des œuvres d’art, elles expliquent que leur enthousiasme ne nait pas de l’âge du document à restaurer, mais de la beauté à restituer. Ilaria utilise une analogie intéressante. « Le rapport que nous avons à l’œuvre et au commanditaire est semblable à celui du médecin avec son patient alors que la famille l’interroge sur son état et ses chances de guérisons. Nous établissons un diagnostic et nous mettons en œuvre un protocole pour le soigner. »

La famille de la Custodie, représentée par le frère Sergey, après l’intervention est heureuse. Non seulement le firman se porte bien, mais il a retrouvé une nouvelle jeunesse.
Qu’en est-il des 2742 autres ? « Il faudrait nettoyer tous les firmans », explique Frère Sergey. D’un geste de la main, il fait comprendre que l’opération vaudrait son pesant d’or. « En attendant, des mesures conservatoires nouvelles sont prises pour toute la collection. En effet, les archives sont de plus en plus sollicitées par des chercheurs et des étudiants. Quelques pièces seront mises sous verre pour pouvoir être présentées y compris lors d’expositions temporaires »poursuit-il.
Nous venons d’en restaurer trois en profondeur, mais c’est une centaine de firmans qui auraient besoin des mêmes soins.»
Une mission qui devra trouver des financements extérieurs pour être menée à bien.

Terrasancta Museum le projet prend corps