Message du Carême 2007 du Patriarche latin de Jérusalem | Custodia Terrae Sanctae

Message du Carême 2007 du Patriarche latin de Jérusalem

Jérusalem, Mercredi des Cendres 21 février 2007

Frères et Soeurs

La grâce et la paix de Notre Seigneur Jésus-Christ soient avec vous.

Nous commençons le Carême. Avec Jésus nous allons au désert de Jéricho, qui nous dit aujourd’hui deux choses : premièrement, le désert qui l’entoure encore est le même où Jésus a voulu jeûner et prier avant de porter sa mission au monde ; deuxièmement, Jéricho est une petite ville prison, comme toutes les villes palestiniennes, symbole de la situation de conflit qui est devenue notre milieu de vie, génération après génération et jour après jour. D’un côté, dans ce carême, nous voulons prier et rencontrer Dieu dans la solitude, et de l’autre, nous voulons rencontrer les hommes pour surmonter le conflit et voir le visage de Dieu en tous.

Au désert, nous nous libérons, pour un temps, du poids de nos soucis dans notre vie privée ou publique pour pouvoir jouir d’un moment de liberté intérieure qui nous permette de voir : voir Dieu et voir, dans les profondeurs de nous-mêmes, le bien ou le mal que nous portons, afin de pouvoir nous purifier et de mieux connaître la vocation á laquelle Dieu nous appelle dans notre Eglise et dans notre société.

L’Eglise nous invite durant le carême à nous abstenir de la nourriture, non pour le but de nous abstenir de certaine ou de toute nourriture, mais comme moyen par lequel nous nous exerçons à nous abstenir d’une chose pour arriver à une autre meilleure, et comme moyen de retrouver notre liberté. Nous nous libérons des pressions du corps et de la matière, et des sentiments qui nous poussent à haïr et à démolir, afin de pouvoir ranimer la force de l’esprit qui est en nous et qui nous aide à vivre la vie abondante que Jésus est venue nous donner, faite d’épreuves, il est vrai, « qui veut me suivre qu’il porte sa croix et me suive » (Mc 8,34), mais faite aussi d’un amour qui rend la vie abondante : «Je suis venu pour qu’ils aient la vie et la vie en abondance. Comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres » (Jn 10,10 ; Jn 13,35).

Nous jeûnons pour devenir capables de nous réconcilier avec Dieu, comme nous le dit St Paul : « Laissez-vous réconcilier avec Dieu » (2 Co 5,20). Et la réconciliation avec Dieu ne peut pas se faire sans la réconciliation avec tous les enfants de Dieu, nos frères et soeurs, amis ou ennemis.

Nous jeûnons, pour renouveler l’acceptation de notre foi avec toute sa force libératrice et ses exigences. Car avoir la vocation du levain, du sel et de la lumière, est une vocation à une vie difficile. Mais Jésus nous dit aussi : « Si vous avez la foi, vous pouvez transporter les montagnes » (cf Mt 21,21). La foi authentique, pleinement acceptée et vécue, compense le petit nombre, écarte la peur, et rend le croyant, même s’il est seul dans sa société, capable de contribuer à la construction commune. La vocation du levain dans la pâte dans la terre même de Jésus nous demande de rester dans cette terre, bien que la vie dans d’autres terres puisse être plus commode. La vocation du levain est la vocation à vivre le commandement de l’amour, afin de pardonner, tout en réclamant tous les droits perdus, et de faire de la vie un partage de biens et de sacrifices qui nous rend tous, avec toutes nos différences de religion ou de nationalité, des véritables constructeurs de la nouvelle société qui doit naître en Terre Sainte pour tous, juifs, druzes, musulmans et chrétiens.

Nous sommes appelés à une vie difficile dans le conflit qui dure toujours en Palestine et qui a ses répercussions dans d’autres pays de notre diocèse, Israël et Jordanie : l’occupation et tout ce qui s’en suit, limitation de la liberté, le mur, les barrières militaires, les privations, les militaires israéliens qui, à tout moment, entrent dans les villes palestiniennes tuent des personnes, emmènent des prisonniers, déracinent les arbres, et démolissent les maisons Š. Ajouter à cela, le manque de vision à l’intérieur de la société palestinienne, et le manque de sécurité, exploité par certains qui se permettent de violer les lois et d’opprimer leurs frères, surtout ceux qui portent des armes et qui les emploient pour opprimer et voler l’argent des autres. Et les luttes intestines qui hésitent à disparaîtreŠ A cela s’ajoute la non réponse ou l’incapacité de la communauté internationale à répondre aux multiples voix de paix qui partent de la région. Et les prières, multiples, qui s’élèvent de partout et persévèrent, dans ce temps d’épreuve : en elles et dans toute personne de bonne volonté, nous mettons notre espérance.

Face à cela, le carême rappelle au chrétien que cette situation peut être une situation de mort ou de vie nouvelle et qu’il est appelé à la convertir en une situation de vie nouvelle. Ainsi notre jeûne a pour but : premièrement de méditer et de rechercher la volonté de Dieu et sa Providence dans les épreuves que nous vivons. Deuxièmement, renouveler notre amour les uns pour les autres : en ajoutant le poids des soucis de nos frères à nos propres soucis, Dieu devient présent parmi nous, selon la parole de Jésus : « Lorsque deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux » (Mt 18,20). Nous devenons ainsi trois à porter nos soucis, nous, notre frère et Dieu. Avec cela, nous devenons plus fort et le poids sera plus léger.

Troisièmement, avec la présence de Dieu parmi nous nous arriverons à voir le sens des événements que nous vivons, nous verrons comment convertir les épreuves et les oppressions en amour les uns pour les autres, et donc en plus de force pour plus d’unité et pour une véritable résistance qui a pour but non de démolir l’adversaire ou de remplir nos c¦urs de rancune contre lui, mais de mettre fin au mal de l’occupation, avec toutes ses oppressions, et commencer ainsi une vie nouvelle pour tous, occupés et occupants.

Frères et soeurs, je demande à Dieu pour vous toute grâce et bénédiction. Que votre jeûne soit béni et agréé, et soit une source de renouvellement de l’esprit en vous. Je demande à Dieu Très-Haut de vous donner la grâce d’aimer la vie malgré les circonstances dures dans lesquelles il vous a envoyés pour construire une vie nouvelle et une société nouvelle pour tous. Amen.

+ Michel Sabbah, Patriarche