Actualité de l’œcuménisme en Terre Sainte | Custodia Terrae Sanctae

Actualité de l’œcuménisme en Terre Sainte

Où en est l’œcuménisme en Terre sainte ?

C’est difficile à dire en quelques mots. Mais en bref, je dirais que ces 30 ou 40 dernières années, les progrès ont été considérables. J’avais du mal à imaginer, il y a 30 ans, que nous en serions là où nous en sommes aujourd’hui. Je vois une progression lente qui a commencé avec la visite du pape Paul VI à Jérusalem en 1964 et sa rencontre avec le patriarche orthodoxe Athénagoras de Constantinople, mais surtout avec le patriarche orthodoxe de Jérusalem, à l’époque Benediktos. Et cela s’est développé petit à petit.

Il faut distinguer les niveaux, les rencontres. Il y a tant de choses qui se passent dans l’œcuménisme que c’est presque insaisissable. Il faut distinguer les Lieux Saints, les relations entre les hiérarchies et les relations entre les fidèles des différentes confessions. Quant aux curés dans les paroisses, cela dépend surtout des personnes.

Je pense qu’il y a des progrès considérables, mais ils ne sont jamais assurés pour toujours et nous constatons régulièrement qu’un petit événement peut nous ramener 5 ou 10 années en arrière et alors il faut recommencer.

Les chefs des Églises se rencontrent-ils ?

Les chefs des Églises se rencontrent à peu près tous les deux mois, les chefs de 13 Églises et le père Custode. C’est une habitude qui s’est instaurée depuis 1994, après la publication du premier mémorandum commun sur la signification de Jérusalem pour les Chrétiens.

Que se disent-il dans ces réunions ?

C’est surtout une rencontre fraternelle et c’est très important. Les sujets abordés tournent souvent autour de problèmes qu’ils ont en commun, des difficultés qui viennent généralement de l’extérieur et qui sont souvent liées à la situation du pays comme : l’accès à Jérusalem, payer ou non les taxes, liberté de mouvement des chrétiens, la question de l’obtention des visas pour les religieux, étudiants et volontaires etc. C’est déjà un grand pas en avant qui a été amorcé dès les débuts de la première Intifada, fin 1987.

Il leur est plus difficile d’aborder les problèmes que les Églises peuvent avoir entre elles. Ils arrivent à prendre des positions communes vis-à-vis de problèmes qui surgissent de l’extérieur mais les questions délicates attenantes aux relations entre les Églises, j’ai l’impression qu’ils ont encore du mal à les aborder directement.

Ces questions délicates sont-elles des questions théologiques ?

Non. Ici à Jérusalem, nous n’avons pas les personnes compétentes pour amorcer un dialogue au niveau théologique. Dans l’Église catholique et grecque orthodoxe certainement oui, mais certaines Églises plus petites sont plus pauvres. Par ailleurs, les Églises orthodoxes estiment ne pas avoir la légitimité pour travailler à ce niveau et se réfèrent à leurs plus hautes autorités qui sont en dehors du pays. Parmi les problèmes existant entre les Églises, surtout entre Catholiques et Orthodoxes qui représentent à eux deux 95 % des chrétiens du pays, le plus délicat est certainement le fameux problème du prosélytisme. Les orthodoxes reprochent encore aux Catholiques de faire du prosélytisme parmi leurs fidèles. Je pense que ce temps est révolu, mais dans les relations cela reste un point très sensible pour les orthodoxes. Nous devons avoir l’humilité, nous catholiques, de reconnaître que nos communautés sont composées pour une grande partie de fidèles venus de l’Orthodoxie.

Avec l’installation des Franciscains au XIVe siècle ?

Non, principalement depuis la restauration du Patriarcat latin au XIXe. Des communautés catholiques existaient auparavant, mais elles étaient plutôt réduites et vivaient principalement autour des Lieux saints et dans quelques paroisses. Avec la restauration du Patriarcat latin il y a eu un mouvement qui s’appelait missionnaire. Il faut remettre les choses dans leur contexte. Ces missionnaires ont fait un travail remarquable et ont certainement contribué fortement à stopper la progression de l’islam dans certaines régions, grâce aux écoles et au renouveau chrétien dont ils ont été les initiateurs en paroisse. Mais travailler pour le renouveau ou pour l’unité dans la mentalité de l’époque consistait aussi à travailler pour le « retour » des non-catholiques, en particulier des orthodoxes.

Et l’Église orthodoxe n’a pas encore accepté, qu’à un moment où elle n’avait ni les moyens ni le personnel, ces choses se soient passées ainsi et encore aujourd’hui certains responsables orthodoxes continuent de nous soupçonner de faire du prosélytisme. Or je pense que de grands efforts ont été faits depuis Vatican II et que cela n’existe plus. D’ailleurs, si nous leur demandons de nous citer des faits, ils nous font part d’épisodes vieux de 15 ou 20 ans. Il n’en demeure pas moins que cela reste pour eux une blessure et on n’arrive pas encore à percer cet abcès en en discutant franchement. Nous, catholiques, devons essayons de comprendre la sensibilité des autres, et alors peu à peu beaucoup de choses deviendront possibles.

Pour en revenir aux rencontres entre les autorités ecclésiales, il n’y a pas de réflexion commune ?

Il y a eu, par exemple, deux demi-journées de récollection commune entre les Chefs des Églises sur un texte de l’Écriture à l’occasion d’une fête. Cela s’est révélé très riche, mais est resté exceptionnel jusqu’ici.

À un niveau inférieur et à défaut de commission théologique, y a-t-il un autre type de dialogue ?

Oui. Certains souhaiteraient qu’il puisse y avoir des échanges dans la pastorale. C’est le cas ici où là mais il est très difficile de les généraliser. On a abordé aussi les questions d’entraide entre les écoles et du respect de l’appartenance ecclésiale des élèves dans les écoles. Beaucoup d’enfants orthodoxes sont scolarisés dans les écoles catholiques parce qu’elles sont plus nombreuses et plus répandues à travers les différentes régions. Dès lors se pose la question de l’influence du catholicisme et en contrepoids du nécessaire respect de l’identité de chacun des élèves. Le cycle d’étude dure 12 ans. Un enfant orthodoxe (ou autre) qui fait tout son apprentissage dans une école catholique, qui communie à la messe, qui se confesse peut finir par se trouver plus à l’aise dans l’Église catholique que dans sa confession de baptême. Tout l’art de l’Église catholique est de donner cette formation chrétienne sans rendre les enfants étrangers à leur propre Église. Cela suppose une attention tout à fait spéciale si vraiment nous voulons faire progresser l’œcuménisme.

Et qu’en est-il des fidèles « de base » ?

Je pense que - et c’est un fait sociologique généralisé au Moyen Orient - les fidèles s’identifient plus facilement comme chrétiens, tandis que le clergé s’identifie au plan confessionnel, par l’appartenance ecclésiale. Pour les fidèles ce qui compte c’est plutôt la solidarité des chrétiens en présence des non-chrétiens et la collaboration s’instaure spontanément entre eux. Si vous regardez combien il y a d’enseignants orthodoxes dans les écoles catholiques, combien de membres et de collaborateurs orthodoxes il y a dans les œuvres sociales, par exemple Caritas, ou dans les mouvements de jeunesse : scouts, YMCA, YWCA, JEC, JOC, etc. Partout on constate que catholiques, orthodoxes, protestants travaillent ensemble. Et je pense qu’on retrouve ce mélange dans presque toutes les familles. Cela aide beaucoup à la spontanéité de cette collaboration que les chrétiens eux-mêmes ressentent comme d’une importance vitale pour la présence chrétienne. De sorte que les chrétiens disent parfois : « L’unité ce n’est pas un problème, la seule chose qui nous sépare encore c’est la date des fêtes. » C’est un peu simpliste, mais c’est ce qu’ils ressentent.

Y a-t-il une différence dans l’œcuménisme entre les Territoires palestiniens et Israël ?

Pas profondément, mais je pense qu’à Nazareth, les relations œcuméniques à tous les niveaux sont un peu plus faciles, plus spontanées, plus fraternelles au niveau des chefs des Églises ; au niveau des fidèles, je pense que c’est pareil. Cela est sans doute dû au fait que c’est une autre ambiance et qu’on est un peu plus éloigné du centre, de Jérusalem.

Malgré les accusations qui sont faites à l’Église de Jérusalem, toutes les Églises, l’œcuménisme existe donc en Terre Sainte ?

Quand on dit que la division des Églises est un scandale, spécialement à Jérusalem où Jésus a prié pour l’unité des siens etc., je suis d’accord, mais il faut alors ajouter tout de suite qu’aucune des divisions dont nous souffrons n’est née ici. Elles ont toutes été importées de l’extérieur. Donc l’Église de Jérusalem n’en est pas responsable, elle en porte les conséquences. Il convient que les pèlerins, qui aujourd’hui se disent scandalisés par les divisions existantes, s’en rendent bien compte.

Propos recueillis par Marie-Armelle Beaulieu